La « Coupe Brugerolle »
1921-2010
La participation de l’Échiquier Tourangeau à la « Coupe Brugerolle » demeure incontestablement l’un des moments les plus forts de toute son existence et ses acteurs en conservent un souvenir ému.
Elle doit son nom à M. André Brugerolle, Maire de Matha de 1952 à 1979 et Député de Charente-Maritime à la même époque. En dehors de la politique, le nom de ce notable reste attaché à celui de la Maison Brugerolle, une famille de négociants en liqueurs et cognacs. Cette compétition s’intitulait d’ailleurs, lors de son lancement en 1953, « Coupe des Cognacs Brugerolle ». Son organisation fut, durant toute son existence, sous la responsabilité de MM. Voisin et Plantecoste du Cercle Échiquéen de Beauvais-sur-Matha, village situé à une dizaine de kilomètres à l’est de Matha.
La « Coupe Brugerolle » opposait tous les ans des clubs issus de quatre ligues de l’Ouest de la France : Atlantique-Anjou (dont faisait partie l’Échiquier Tourangeau), Charentes-Poitou, Limousin et Aquitaine. Trois phases éliminatoires se déroulaient au sein de chaque ligue, au terme desquelles les vainqueurs se rencontraient en demi-finale, les adversaires étant désignés par tirage au sort. La finale entre les deux équipes gagnantes avait lieu tous les ans au Café du Commerce de Beauvais-sur-Matha, siège du club d’échecs de cette localité. Les équipes participantes étaient composées de quatre joueurs choisis librement, la seule obligation étant que les capitaines échangent par courrier leurs listes préétablies de joueurs inscrits dans l’ordre adopté pour la rencontre. À l’origine, il était convenu que le premier club qui parviendrait à remporter trois fois consécutives cette coupe la conserverait définitivement.
C’est à l’occasion de l’édition 1970/1971 que l’Échiquier Tourangeau se distingua pour la première fois dans cette compétition. Après avoir éliminé facilement Angers au premier tour, l’équipe de Tours composée de MM. Laborie, Pichevin, Mannequin et Durpaire, fut opposée à celle de Poitiers. Jean Laborie réussit une belle performance en parvenant à obtenir la nullité au premier échiquier contre Gaston Larcher pourtant favori, ce dernier ayant fini 5e du tournoi accession du Championnat de France 1970. Les autres parties se conclurent par une défaite de Louis Pichevin, une victoire de René Mannequin et une nulle de André Durpaire. À l’issue de ce match nul, la règle de départage (avantage au deuxième échiquier) permit finalement à Poitiers de s’imposer et de se qualifier pour le tour suivant. Mais au-delà de la déception ressentie sur le moment, ce résultat était surtout très encourageant pour l’Échiquier Tourangeau dont la persévérance allait bientôt être récompensée.
En 1975, c’est au stade de la finale que les équipes de Tours et Poitiers s’affrontèrent à nouveau. Notre club avait bénéficié au cours des années précédentes de l’arrivée de jeunes joueurs très prometteurs, dont la participation à ce match était très attendue. Celui-ci débuta sous les meilleurs auspices grâce à une victoire expéditive au premier échiquier de Jacques Berge, Champion de Touraine et second du dernier Open de Paris, lequel était opposé à l’ancien Champion de France universitaire Georges Toullat. Au deuxième échiquier, Jean-Pierre Alet n’eut guère plus de difficultés pour venir à bout de M. Lussault qu’il contraignit à l’abandon après avoir créé un réseau de mat imparable dès le vingt-sixième coup. Confronté à l’excellent Jacques Burgaud au troisième échiquier, Jean-Yves Soyer qui n’avait que 16 ans à l’époque, joua une très belle partie qu’il finit par perdre après avoir refusé une proposition de nullité de son adversaire. Au quatrième échiquier, une partie acharnée entre les très expérimentés Jean Laborie et José Guinovart, tourna à l’avantage du tourangeau suite à une belle combinaison qui força le gain. L’équipe de Tours remporta donc brillamment pour la première fois la coupe, remise à son capitaine Jean-Pierre Picaud par le député André Brugerolle en personne, à l’issue du traditionnel banquet servi à l’Hôtel du Commerce de Beauvais-sur-Matha.
Un an plus tard, en 1976, Tours parvint à atteindre une nouvelle fois la finale avec la même équipe, opposée cette fois ci à celle d’Agen. Jean-Yves Soyer confirma ses progrès rapides ; une astucieuse combinaison lui permit de défaire facilement son truculent adversaire Jean Lennon. Un peu plus tard, la supériorité stratégique de Jean-Pierre Alet fit la différence sur Guy Rauzières, joueur pourtant redoutable. Mais une surprise relança alors la rencontre suite à une erreur tactique de Jacques Berge, invaincu depuis trente-deux matches, qui l’obligea à s’incliner face à Michel Faber. Les espoirs de l’équipe reposaient donc sur les épaules du solide Jean Laborie, lequel devait arracher au moins le nul contre M. Marche. Il gagna une pièce dans une position délicate, mais préféra amener son adversaire à accepter la nullité après avoir eu recours à l’arbitrage. Tours eu donc l’honneur de recevoir une nouvelle fois des mains de M. Brugerolle la coupe portant son nom, assisté de MM. Voisin et Plantecoste. Cette deuxième victoire d’affilée plaça l’Échiquier Tourangeau dans une position idéale pour l’obtention d’un troisième succès consécutif.
L’année suivante, nos valeureux joueurs échouèrent malheureusement dans cette tentative. S’ensuivit une période délicate marquée par des dissensions entre certains membres de l’équipe victorieuse des années passées. Mais l’année 1982 vit le grand retour de l’Échiquier Tourangeau dans cette compétition grâce à une nouvelle équipe composée de Jacques-Marie Pineau au premier échiquier (un joueur dont on allait encore entendre parler plus tard), Didier Boivin au deuxième, Sylvain Colsaët au troisième et l’incontournable Jean Laborie au quatrième. Parvenus en finale, ils réussirent à éliminer une équipe bordelaise pourtant excellente. Parmi les faits marquants de ce match, on retiendra la superbe victoire de Jean Laborie sur Serge Bérard, un joueur ayant un classement Elo de 1940, particulièrement flatteur à l’époque. Pour sa part, Jacques-Marie Pineau redressa une situation bien compromise dans sa partie contre le très fort M. Lagune avant de l’emporter finalement douze coups plus tard.
Le 25 juillet de la même année, les organisateurs de la « Coupe Brugerolle » envoyèrent aux présidents de ligues et principaux responsables une lettre par laquelle ils les informaient de leur décision d’y mettre fin et de l’attribuer définitivement à l’Échiquier Tourangeau. Aucun des clubs participants n’avait réussi l’exploit de remporter trois victoires consécutives comme le stipulait le règlement. Cependant, le palmarès de Tours dans cette compétition justifiait selon eux pleinement cette récompense. En moins de dix ans, hormis les trois titres obtenus dont deux consécutivement, l’Échiquier Tourangeau atteignit également par deux fois la finale. Dans le même temps, il remporta à deux reprises la « Coupe Coiffet », trophée remis par les patrons du Café du Commerce de Beauvais-sur-Matha au vainqueur du match opposant, simultanément à la grande finale, les deux demi-finalistes malheureux de la « Coupe Brugerolle ».
Ultime témoignage de cet épisode inoubliable dans l’histoire de l’Échiquier Tourangeau, la coupe si chèrement acquise est aujourd’hui fièrement exposée dans nos locaux. Mais plus encore qu’une brillante victoire dans une compétition importante, nos joueurs garderont surtout en mémoire l’atmosphère de convivialité et de bonne humeur partagée en toute amitié avec leurs adversaires. Celle-ci se manifestait en particulier à l’occasion des fameux repas annuels offerts aux équipes finalistes, arrosés d’excellents vins et des divers alcools fournis par la Maison Brugerolle. Ce n’est pas Jean Laborie qui a conservé précieusement le menu de l’un d’entre eux qui dira le contraire !
Jérôme Pimbert
09 février 2010
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